Le batteur sud-africain Asher Gamedze annonce son premier album Dialectic Soul sur le label britannique On the Corner, qui enchaîne les sorties de qualité. Discussion avec ce virtuose des baguettes.
Les quinze minutes alambiquées du morceau « Capetown » de la chanteuse et clarinettiste Angel Bat Dawid, représentante de l’avant-garde jazz de Chicago, donnaient déjà une idée de l’habilité du bonhomme lorsqu’il est assis derrière une batterie. Originaire de la ville en question, Asher Gamedze prend ici les rênes d’un double album, entouré du bassiste Thembinkosi Mavimbela, du saxophoniste Buddy Wells, du trompettiste Robin Fassie-Kock et ponctuellement de la chanteuse Nono Nkoane. Dialectic Soul est un album de jazz spirituel et progressif dont la complexité cache de nombreuses métaphores. Ces pièces désinvoltes sont rythmées par la dextérité et la force tranquille qui caractérisent le jeu de ce batteur aux idées philosophiques, guidé par les thèmes de la résistance au colonialisme et du mouvement perpétuel.
Quelle est l’histoire qui se cache derrière ces morceaux ?
L’album parle des pratiques et traditions de la résistance, en cours et inachevées, et comment le mouvement de ces choses est impératif pour imaginer, articuler et construire de nouveaux mondes à l’intérieur de ces mondes. Historiquement, il s’agit du travail et de l’expression de l’âme.
Quel est le lien entre la première partie State of Emergence Suite que tu as déjà dévoilée, et le reste de l’album ?
(Pour répondre, l’artiste rappelle une partie des notes qui accompagnent le disque, NDLR) Cette suite présente les thèmes qui constituent l’album. Il tente de représenter conceptuellement la dialectique coloniale, la violence du colonialisme-capitalisme et les nombreux chapitres et phases de résistance qui y sont opposés. State of Emergence parle de la nécessité continue du mouvement dans notre résistance et dans notre imagination, et la construction d’alternatives. La résistance est toujours en état d’émergence, jamais complète, jamais terminée, toujours en mouvement.
1. Thèse : La batterie en solo symbolise le mouvement africain autonome, qui avance en résolvant ses propres contradictions. Le saxophone introduit la violence du colonialisme et la nécessité de réfléchir profondément et honnêtement sur la façon dont cela nous a façonnés et sur nos conditions actuelles.
2. Antithèse : Steve Biko (militant noir d’Afrique du Sud et figure de la lutte anti-apartheid, ndlr) a écrit une fois que la conscience noire est l’antithèse de la suprématie blanche. De Coltrane à Cabral, de Makeba à Malcolm, de la révolution haïtienne à Nehanda, ce mouvement concerne les nombreux autres mouvements qui ont tenté de rendre l’impensable – la liberté noire – pensable et réelle. Nos réponses à la violence du colonialisme.
3. Synthèse : C’est notre refus des conditions qui nous sont imposées. C’est la lutte permanente contre les conditions matérielles auxquelles nous sommes soumis. C’est la lutte en cours et la manifestation positive de la résistance contre les formes de violence et de silence auxquelles nous sommes soumis.
Comment traduis-tu toutes ces idées avec ta batterie ?
Nous pouvons considérer le rythme comme une relation entre le temps et le mouvement, la manière dont nous nous déplaçons, en relation avec le temps. Chaque tradition musicale a ses propres façons de bouger : harmoniquement, bouger le corps, l’esprit, l’âme, etc. Et les percussions semblent toujours jouer un rôle important dans l’articulation de ce mouvement. Donc, mon approche de la batterie est toujours « comment devrait on ressentir cette musique ? Et comment mettre ce sentiment en mouvement avec cet instrument ? »
Quel a été le process d’enregistrement ?
On a eu des séances séparées avec les musiciens avant de tous nous réunir, pour leur montrer certains des concepts mélodiques et rythmiques sur lesquels les morceaux étaient basés. Et puis nous avons passé une matinée dans ma chambre à parcourir les morceaux collectivement avant de nous rendre au studio cet après-midi-là.
L’album a été enregistré en deux jours dans un studio de Cape Town. De ce fait, j’imagine qu’il y a beaucoup d’improvisation ?
Oui, je connais tous les musiciens depuis longtemps et j’ai joué et traîné avec eux dans différents espaces et différents contextes. La musique n’est que la continuité et l’extension de ces relations dans le domaine du son. Mes compositions, ou les concepts des chansons, ne sont que la base de la connexion, l’introduction à la rencontre pour que nous puissions essayer de créer quelque chose de beau ensemble. Cette beauté est en fait celle de l’improvisation.
L’album sortira le 10 juillet 2020 sur On the Corner. Précommandez-le ici.